Dubuffet, Bâtons rompus 2
[…]
Je suis bien convaincu qu'il entre chez les faussaires une part émouvante de profonde adhésion aux œuvres imitées. Peut-être sont-ils plus honnêtes en faisant attribution du fruit de leur travail à l'artiste qu'ils ont copié que ne l'est l'imitateur qui signe l'imitation de son propre nom. J'ai visité naguère avec effarement l'atelier d'un faussaire qui ne peignait qu'à l'œuf, sur des fonds d'or, des vierges copiées des tableaux primitifs. Il faisait ces peintures avec une passion enfiévrée, s'identifiant aux vrais peintres de ce temps révolu, dont il avait fait seins le mode de vie et la mentalité. Il ressentait ces œuvres pleinement , y prenait pleine source d'extase. Etait-il coupable? C'est s'il avait fait des peintures procédant de positions d'esprit différentes de celles-ci devenues les siennes qu'il l'aurait été. […]
On peut dire à la fin que tout artiste est un faussaire, s'appliquant à faire ce qu'il imagine que ferait un merveilleux artiste qui demeure à venir et qu'il incarne. D'où résulte que tout le monde est plus ou moins faussaire et que tout faussaire ne l'est que pour une part."
Je suis toujours aussi réjouie de lire de tels propos, hors de l'"artistiquement correct".
Ce livre (Bâtons rompus), je le trimballe partout avec moi depuis 1998, et cette branche de bougainvillée témoigne.
Lecture salutaire, anti-normative, heureusement que je peux y puiser des forces de temps à autre.