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Dubuffet, Asphyxiante culture 2

Publié le par L'atelier d'Annik

Je ne peux m'empêcher d'en livrer ici un autre extrait.
La lecture de Dubuffet a sur moi l'effet d'un coup de vent frais dans le visage, voire d'une cure de désintoxication culturelle… 
Ça me paraît essentiel de temps à autre pour éviter de me laisser engluer dans la normose ambiante, en particulier le formatage culturel.

Page 89:
"Il n'y aura plus de regardeurs dans ma cité; plus rien que des acteurs. Plus de culture, donc plus de regard. Plus de théâtre – le théâtre commençant où se séparent scène et salle. Tout le monde sur la scène, dans ma cité. Plus de public. Plus de regard, donc plus d'action falsifiée à sa source par une destination à des regards – s'agisse-t-il de ceux propres de l'acteur lui-même devenant, dans le moment qu'il agit, son propre spectateur. Dans le moment qu'il agit? Ce ne serait que demi-mal. C'est avant même d'agir que l'inversion s'opère, l'acteur se transportant dans la salle avant d'agir, en sorte qu'à son action sen substitue une autre, laquelle n'est à vrai dire plus du tout la sienne, mais celle d'un autre, qu'il se donne en spectacle. Tel est l'effet du conditionnement de la culture. Elle entraîne pour l'action de chacun d'être remplacée par celle d'un autre. Mais nous qui sommes conditionnés, qui ne pouvons pas nous défendre de nous regarder agir, qu'allons-nous faire? Nous allons tendre nos efforts à nous regarder moins. Au lieu de consentir au principe du regardement et de nous y complaire, au lieu d'argumenter de ce que doit être un bon spectacle (et un bon regard), nous allons essayer de fermer un peu les yeux, détourner la tête, au moins par cours moments, et progressivement un peu plus longs; nous allons nous entraîner à l'oubli et à l'inattention, afin de devenir, je ne dirai pas entièrement (c'est bien sûr impossible), mais peu à peu au moins davantage, le plus que nous le pourrons, acteurs sans public. Ne vous arrêtez pas un instant à l'objection que ma cité est une étoile hors de portée; ce n'a pas d'importance qu'il y ait au bout d'un chemin l'absurde et l'impossible: il y a l'absurde et l'impossible au bout de tous les chemins si on les suppose rectilignes. C'est le sens dans lequel on marche qui est efficient, c'est la tendance, la posture. De ce qu'il y aurait au bout du chemin, ne vous soucie pas. Il n'y a pas de bout aux chemins, pas de bout qu'on atteigne." 

180801265_small-copie-1.jpg

Quel délice… 
Lire, puis foncer à l'atelier! 
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T
<br /> peu importe le bout du chemin seul compte le chemin lui même<br /> besos<br /> tilk<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Enfin, c'est ce qu'on dit… et qui est difficile à garder en tête parfois!<br /> <br /> <br />
N
<br /> J'aime beaucoup ce texte et pourtant... Il nous amène à penser que la seule référence est notre propre perception. Je pense aussi aux textes de Henri Michaux. Peut-on croire que cela soit possible?<br /> Sauf dans l'hypothèse d'une démarche personnelle entièrement consciente des engrammes propres à notre culture, et même au delà de cette culture, dans la découverte d'autres cultures, peut-on<br /> prétendre à cette conscience "primitive"? S'inscrire non en contre mais en marge? Et, étant enfin inscrit en marge, parvenir tout de même à trouver cet écho sans lequel toute création est<br /> invariablement soit rejetée soit consacrée par une minorité d'initiés, souvent plus pédants que sensibles... La question reste là, comme une béance ouverte sur une montagne de certitudes. Je me la<br /> pose autant que je te la pose! Le débat devient forcément philosophique, mais pourquoi pas?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Non, ce n'est pas possible, et Dubuffet le dit bien… C'est plutôt pour lui une ligne de mire, un désir. Lorsque nous avons été plongés dans la culture, c'est fait, nous ne sommes plus vierges, nous<br /> n'avons plus accès à ce rapport primitif à la création. Mais nous pouvons tenter de voir les barrières que la culture nous impose, et de nous en affranchir. Tu as raison, prendre un<br /> contre-pied systématique n'a pas beaucoup de sens, un sens aussi creux que certains vernis mis au pinacle. Mais à mon avis il ne sert à rien non plus d'errer dans les parages du camp, mieux<br /> chercher au fond de soi ce qui parle vrai, profondément humain, sans égard pour le discours dominant. C'est sûr que ça ne s'adresse pas à la majorité des gens, épris de surface qui brille… Mais<br /> pour ma part, la majorité ne m'intéresse guère ^^<br /> Merci de ton retour et de ces discussions, Nadir. <br /> <br /> <br />