Les bénéfices du doute, en matière de création
Un interstice s'est ouvert dans ma production: quel inconfort… J'en suis heureuse, car je commençais à me sentir vraiment insatisfaite, et c'était encore plus difficile à vivre.
Tout à coup, il a fallu que je fasse sauter le bouchon, que je procède autrement. Comment, je n'en sais rien, mais autrement.
Je ne sais plus, je doute, mais tant mieux.
Le confort est un piège*. Il évite l'angoisse, c'est certain. Mais il évite aussi la satisfaction…
Le geste est sûr, la certitude du résultat sécurisante, mais lorsque rien n'échappe à la maîtrise, il n'y a pas de surprise, pas d'interstice, pas de vibration, pas de jubilation, pas de vie.
Il y a aussi dans la bouche un goût amer, car nous savons que nous nous sommes amputés d'une partie vivante de nous-mêmes.
Malgré cela, il y a cette petite voix au fond de nous, qui insiste et qui dit: "Pourquoi te réfugies-tu dans une prison? Pourquoi te masques-tu les yeux? Pourquoi n'avances-tu pas courageusement là où tu sais que tu dois aller, au fond de toi? Pourquoi ne fais-tu pas les gestes qui sont vitaux pour toi?
Nous nous bouchons les oreilles de toutes nos forces pour ne pas l'entendre. Oui, certes, il y a cette insatisfaction, qui traîne comme un brouillard pesant au fond de nous, mais qu'importe, nous ne désirons pas vraiment quitter notre confort.
Puis un jour, ce brouillard commence à monter, monter inexorablement. Nous ne pouvons plus refouler ce désir, longtemps bridé. Il faut lâcher ce que nous avons construit pour nous rassurer. Nous devons retourner au bord du vide. Il s'agit à ce moment de vie ou de mort – du moins en avons-nous l'impression.
Rester dans ce marasme, nous le sentons bien, c'est au moins une petite mort: l'anesthésie progressive, la distance de plus en plus grande avec nous-mêmes, l'insatisfaction qui monte et nous étouffe…
Pour nous sentir à nouveau vivants, nous devons nous remettre en route. Nous devons risquer de tomber, risquer le ridicule, risquer de nous perdre, risquer de prendre de grandes claques, risquer de nous éloigner de nos semblables, risquer le tout pour le tout. Nous devons braver le regard d'autrui qui nous implore de ne pas quitter le connu. Nous devons nous mettre en danger. Nous devons retrouver le vivant en nous.
Le mystère Picasso
Le danger, c'est de quitter les terrains familiers pour défricher de nouvelles terres.
Le danger, c'est s'investir corps et âme dans une création, c'est se battre jusqu'à ce que quelque chose de juste et vrai se fasse jour. Le danger, c'est qu'une part de soi encore inconnue de nous se montre, et que nous ayons à la faire voir, à la reconnaître.
Pour moi, les critères sont simples, finalement. Lorsque je crée la peur au ventre, c'est que quelque chose de vrai va se passer. C'est le vivant.
Lorsque j'ai peur de tout abîmer, c'est que je suis en train de figer, de freiner pour rester dans le connu. C'est le mort.
*[le piège du confort, en matière de création, comme dans d'autres domaines, voir mon article sur Home et les raisons qui font à mon avis qu'on ne change pas de cap immédiatement]