Dubuffet, Asphyxiante culture
Je le lis en désordre et en travers, et je suppose que Dubuffet l'aurait pris comme un hommage.
Une petite lichette:
" Ce n'est pas tant par son insistante présentation d'œuvres du passé que la culture est nocive. Ce n'est là qu'une de ses fonctions et qui constitue plutôt un cérémonial préalable: ce qu'est l'anesthésie avant l'opération. Son action la plus néfaste consiste dans l'apport d'un vocabulaire. Elle propose – non, elle impose – des mots de son cru qui, véhiculant des concepts préfabriqués, peuplent ensuite l'esprit et le jalonnent; devenant pour lui sémaphores. Il est à remarquer que ce mobilier de mots encombre la pensée de notions simplistes et on peut même bien dire toutes fausses à cause de simplification excessive; tout mot est grossièrement simplificateur, isolant une notion de toutes les autres auxquelles elle tient, tendant à immobiliser ce qui est mobile, à fixer ce qui est en permanente mouvance, à livrer la notion dépouillée des jeux de lumière qui l'éclairent, la transformant en simple chiffre, qui n'est d'elle qu'un écho éteint, appauvri, dénaturé. Le vocabulaire, grand recours de la culture, est l'ennemi de la pensée. Plus on l'accroît, plus celle-ci se voit encombrée – encombrée de meubles pesants et fixes, de corps morts – et privée de son espace."
Posé le livre, à moi les grands espaces, l'envie de gambader dans désert de Gobi me reprend, me voici délivrée du savoir, du bien-penser, de la bienséance, et de tout ce fatras qui ligote la création… Je cours à l'atelier.
Merci Jean!
Jean Dubuffet, Vénus au trottoir, 1946